Cyclistes / Robert Milin
Robert Milin
Peintures, installation dans le domicile des familles des quartiers Dervallières et Zola et exposition au Lieu Unique à Nantes.
texte de Robert Milin
« L’intérêt que je porte à la représentation des gens et des paysages est à l’origine de mes interventions dans le domaine public. Je mets en scène des gens parce qu’ils expriment un rapport particulier au lieu où ils se situent. Jusqu’à présent, je suis plutôt intervenu en installant une photographie, un texte, un objet, un signe plastique dans l’environnement.
Je m’intéresse à la manière qu’ont les gens « d’ habiter » un lieu. Les personnes sont invitées à participer en me confiant par exemple des objets personnels que je photographie, des vêtements comme dans “Fanningberg”, œuvre réalisée dans le Land de Salzbourg en Autriche. Mais ce peuvent être aussi des photographies privées, des lettres, des textes de cartes postales. Tout ceci est susceptibles de devenir le matériau de mes installations.
Le support a, dans mes projet, une importance particulière. Dans la photographie et la peinture usuelles, le support n’a généralement qu’un rôle fonctionnel: recevoir la peinture, fixer l’image, l’encadrer. Dans mes œuvres, le support est souvent directement constitué par le lieu, l’architecture préexistante…
Je me suis évertué, par l’installation d’un signe dans l’environnement, à faire d’un site naturel ou urbain, un “paysage”, puisque tel fut le premier sens de ce mot que de désigner une œuvre d’art.
Il y a aussi le constat que l’association Entre-deux s’intéresse dans l’art, à ce qui appartient aux limites. Je perçois son projet comme quelque chose se situant entre l’art et la vie, entre l’artiste et les gens, entre la photographie et la peinture, entre le monde de l’art et le monde de la politique.
Mon projet serait de réaliser un travail plastique à partir d’une rencontre avec des habitants de ces deux quartiers.
Réaliser des petites pièces sous la forme de “portraits de gens” et ceci avec des ressources plastiques à découvrir aux domiciles des personnes acceptant de m’accueillir et de “jouer le jeu du portrait”.
Je rencontrerais des personnes à leur domicile (dans le salon, la salle de séjour, la cuisine, l’atelier du bricoleur…). Puis j’effectuerais des préparatifs de portraits de certaines d’entre elles, en face à face. Pour réaliser ces préparatifs et les pièces définitives, j’aurais recours à des matériaux trouvés dans ces lieux d’habitation: papier à lettres, carton, crayon-papier, crayon à bille, feutres, gouache des enfants, huile de vidange, peinture acrylique pour les murs de la salle de bains… L’idée centrale: “arriver «les mains dans les poches», sans aucun crayon, sans papier, ni couleur, prendre ce que l’on trouve sur place”.
J’essaierais aussi des portraits groupés selon les situations: rencontres avec telle ou telle personne, intégration de voisins à la pose…
L’idée est bien de représenter les gens dans leur lieu de vie, avec en arrière-plan des prospectus, des boîtes de médicaments, des pages de magazine TV… Bref, j’aimerais travailler à partir de ces “matériaux dormants” qui font le cadre de vie de ces gens. Tout cela reste à découvrir. Ces éléments pourraient aussi servir de procédé pour l’encadrement de dessins et petites peintures.
Pour prendre un exemple dans le domaine de la photographie, je pourrais citer l’intérêt que je porte au travail de Jean Rault qui a représenté des femmes ordinaires nues, pas forcément belles ni jeunes. Il les a photographiées debout devant leur canapé, ou assises dans un fauteuil près d’une console avec napperon et bibelots, ou encore debout, près du téléviseur.
Sauf que dans mon hypothèse, il ne s’agirait pas de femmes nues, mais de vieux hommes habillés, d’enfants en tee-shirts, de femmes habillées dans leur salle à manger… Il ne s’agirait pas non plus d’un travail de photographe mais de petites pièces de “peintre” mêlant dessin, peinture, et peut-être polaroïds, comprenant en outre des “objets indiciels” trouvés sur place.
Présenter ces petites pièces dans les appartements des gens qui auront acceptés de poser pour moi.
Puisque je ne comprends pas l’art en dehors des conditions de sa réception, notamment par une communauté susceptible de l’accueillir ou de la refuser, puisque je suis réfractaire à l’idée de l’objet artistique accroché sur le mur blanc du musée et coupé de tout, je propose le mode de présentation suivant:
accrochage d’une ou plusieurs petites pièces dans les domiciles des personnes ayant collaboré et selon la volonté et le désir des gens (en accord avec moi cependant car il ne pourra s’agir de n’importe où).
Accrochage de portraits des gens ayant posé dans leur domicile ou accrochage d’un portrait de voisin ou de personne autre, selon les situations. Ne rien précipiter ici, voir sur place, mais ne pas négliger les occasions de discussions et de rencontres ultérieures.
L’idée n’est pas non plus de se dire que des visiteurs éventuels pourront venir, comme cela, chez les gens, voir les pièces. Le but n’est pas là. Il s’agit d’imaginer une œuvre qui nous parlerait des gens et qui serait créée autrement que par un artiste seul dans son atelier et ensuite diffusée selon un code muséal classique. On n’écartera pas non plus la possibilité d’un passage de visiteurs au domicile des gens selon les situations ultérieures. Les exemples de St Carré, d’Ivry sur Seine et de Fanningberg, en Autriche, sont des preuves encourageantes de l’esprit d’accueil des gens, pour peu qu’on les respecte.
Toutefois, pour ne pas réduire le projet à un “truc” qui serait constitué par la visite “de gens chez les gens”, il importerait de pouvoir le présenter aussi d’une manière plus globale et centralisée.
Montrer l’ensemble des pièces dans un lieu d’exposition plus central, mais en s’évertuant, par la photographie, à rendre compte du lieu de destination finale des pièces.
Je souhaiterais pouvoir présenter à Nantes, dans un espace d’art relativement central, la quinzaine de pièces que j’ambitionne de réaliser. L’idée serait de présenter à côté de chaque pièce accrochée, une photographie de l’espace de destination finale: ici au dessus d’une commode, là dans un couloir ou vestibule… »
Paris, 12 février 1998, R. MILIN