(Perfect lovers) / Yann Sérandour
5 juin - 10 juillet 2010
le projet
Selon un mode opératoire basé sur une observation détaillée de l’existant, Yann Sérandour a ausculté la base d’Appui, galerie d’Entre-deux, et notamment la bibliothèque du lieu. C’est une réplique de Perfect Lovers de l’artiste américain Felix Gonzalez-Torres (1957-1996), déjà installée, qui a surtout retenu son intérêt. Deux horloges de bureau identiques accolées l’une à l’autre offrent une image des amants parfaits, vision de l’intime à travers la neutralité d’un design à destination du milieu du travail. La réplique installée depuis 2000 par Jacques Rivet et Marie-Laure Viale, cofondateurs d’Entre-deux, résume parfaitement la coexistence des fonctions privée et professionnelle qui caractérisent le lieu. L’artiste, déjà intéressé par cette œuvre (Perfect Lovers, 2008), décide d’imprimer une affiche à partir d’une photographie de cette réplique dans son contexte d’installation et de recenser différentes interprétations qui existent de cette œuvre, qu’elles émanent d’autres artistes ou de simples amateurs.
le projet mis en abyme
On reconnaît ici la méthode de travail propre à Yann Sérandour : dans un environnement artistique saturé d’objets, il choisit d’intervenir à partir d’œuvres ou de publications déjà existantes. À travers cette pratique de réception et de lecture, il initie de nouveaux développements sur les modes de l’infiltration, du parasitage, du déplacement inframince, occupant les marges et les espaces laissés vacants. Ces espaces interstitiels deviennent des lieux de négociation entre le geste original, sa réinscription historique, et la projection des intérêts de l’artiste. En proposant des œuvres dérivées d’autres œuvres, il élabore un récit fragmentaire, parallèle à celui déjà écrit par l’histoire de l’art.
Yann Sérandour a ainsi reproduit le code-barres « hypnagogique » de Raymond Hains sur l’emballage d’un paquet de petits beurres LU (Le Code du petit beurre LU, relu, 2005, coll. du FNAC). En 2007, au Cneai à Chatou, il réalise un papier peint panoramique faisant pivoter de 90° un « essai » de Daniel Buren (reproduit dans Les Écrits de l’artiste) exclusivement composé de bandes noires horizontales. Son dernier livre Inside the White Cube. Édition palimpseste (JRP|Ringier, 2009) est une monographie où visuels et légendes de ses œuvres viennent – sans opacifier – se superposer à l’impression en fond de page de la traduction française de l’ouvrage canonique de Brian O’Doherty Inside the White Cube. The Ideology of the Gallery Space. Pour Yann Sérandour, la juxtaposition de deux livres peut être une opération productrice de courts-circuits dans l’esprit du lecteur car : « Insérer un feuillet dans un livre, glisser un livre entre deux livres sont des opérations hautement électrisantes »*. À ce titre, la juxtaposition qu’il opère de deux éditions différentes du livre de Daniel Sibony, Entre-deux. L’origine en partage, provenant de la bibliothèque de la base d’Appui et de sa propre bibliothèque est une invitation à faire l’expérience de la différence sous les traits de la similitude et réciproquement. Situé dans un « entre-deux », le moment de cette expérience est aussi l’occasion de partager un original à travers ses rééditions successives. Ce à quoi nous invite précisément cette exposition, placée sous le signe de « l’amour de l’art » et de la reproduction.
Né en 1974 à Vannes, Yann Sérandour vit à Rennes. Son travail a notamment fait l’objet d’une exposition personnelle au CNEAI (Chatou) en 2007 et au Palais de Tokyo (programme Modules) en 2008. Il participe actuellement à l’exposition Seconde main au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (25 mars au 24 octobre 2010) et à l’exposition inaugurale Chefs-d’œuvres ? Au Centre Pompidou-Metz (11 mai 2010 au 18 janvier 2011). Il est représenté par gb agency à Paris.
* Yann Sérandour, extrait d’un entretien avec Charlotte Laubard publié dans le catalogue de l’exposition Incipit, Fondation d’entreprise Ricard, Paris, 2 octobre – 10 novembre 2006.